Je suis un marchand de sable sans sable. Un citron sans pulpe. Une pizza sans anchois. Une coquille vide. Comme vous le sentez, je m’en fous. Mais je préfère me servir moi-même. Je suis mon propre maton, je suis ce genre de benêt qui sort d’une boite de nuit et qui laisse tomber ses clés dans une grille de caniveau. Je suis tout nu et je fais croire à tous que je suis habillé. Ça marche bien, je suis un magicien de pacotille.
J’ai un chapelet mettons, un chapelet d’images, de trucs abscons mais qui sonnent bien. A chaque bille, je dépose une gerbe alambiquée ; point de recueillement. C’est bien. En apparence, c’est Paris sous les bombes. Je suis en redingote, j’ai des favoris, certainement pas de moustache – tu rigoles – et je me bouche les deux oreilles avec les index. M’échoit donc la responsabilité de pondre un billet sur blog et âme. Comme s’il s’agissait de deux choses parfaitement compatibles. De deux choses parfaitement corrélatives. Comme si tous, ici, nous disposions d’une âme, enfin, je veux dire : une âme visible, ostentatoire. Je suis bien élevé (malgré le retard), je presse donc mon citron et recueille un petit jus rachitique et saumâtre. Je ferme les yeux, passe entre mes doigts une bille du chapelet et tout le monde aura l’impression que c’est un litre de jus de pamplemousse rose de Floride. Si je la joue même finement, je pourrais raconter l’histoire fabuleuse du vieux mafioso sicilien qui tient l’entreprise familiale d’une main de fer. Intrigues, baises bidons et homicides à tous les étages. Et on aura tourné (même pas à vrai dire) autour du sujet, comme une vieille Visa rouillée qui cherche son chemin au rond point de la genèse d’une Ville Nouvelle. Dans un premier temps, c’est ce que j’ai fait. Avant de tout foutre à la poubelle de mon bureau pixellisé (à la corbeille, devrait-on dire !). Pourtant, en cet instant même, je vois bien que c’est plus fort que moi, que je recommence.
J’ai des fantasmes. Comme tout le monde. Des aspirations de merdaillon. Je rêve d’épure. De dépouiller le langage de toute cette bile qui le rend si gluant, si flou, si plein d’abcès. Adjectifs ? Aux chiottes ! Familiarités ? Grossièretés pseudo-couillues ? Aux chiottes ! Métaphores effilées ? Comparaisons vaseuses ? Aux chiottes itou. Et je tire la chasse sans un gramme de remords. Et déjà, en relisant le début de ce texte, je m’aperçois que j’ai de nouveau échoué. Piteusement.
Pourtant, je n’ai pas envie de prendre le truc par-dessus la jambe. Pas envie de faire le mariole. J’aspire comme tous les autres à toutes les conneries « zen » possibles. J’aspire au statut de bonzaï figé, bien taillé, discipliné. J’aspire à écluser le restant de mes jours à ratisser avec un outil minuscule un tapis de petits cailloux, enfermé dans un cerclage. Comme dans ces bureaux tout en velours de psys, tandis qu’on déblatère sur soi, Maman, la femme qui nous a laissé choir, les mômes qui nous pourrissent l’existence et nous distendent les nerfs. Je ratisse en tourbillon. Pas de citron, pas de pulpe. Pas de feinte.
J’aimerais avoir la possibilité d’appeler un chat un chat. Comme tout un chacun. Mais le blog n’aime pas l’épure. Le lecteur ne l’aime pas non plus. La faute à la lecture sur écran sans doute ou peut-être comme le pensent certains parce que l’endroit n’est pas fait pour être sérieux. Concis. Précis. On doit y balancer toutes ses billes, même celles qui sont ébréchées (purée !), tout bazarder sur le bitume pour envahir celles des autres et rafler l’intégralité de la mise. Alors, l’âme. Déjà qu’on mélange tout. L’âme, le moi, le caractère, les sentiments. Dans le même bouillon puant (pffff). L’âme, c’est tout nu, va ! L’âme, elle n’est pas de gauche, pas de droite, elle n’est d’ailleurs ni gauche ni droite. Elle est. Elle n’appartient pas aux cathos, aux musulmans, aux juifs ou à tous les autres fondus recroquevillés qui nous pompent l’air toute l’année avec leurs conneries d’Armageddon sélectif. Elle est. Elle ne permet pas d’inclure, ni même d’exclure, elle ne supporte l’exigüité d’aucune case. Elle est. Elle n’est pas un schmilblick, ou une merde de bibelot dans un kaléidoscope, pas une devinette. Elle ne se saisit pas, ne se comprend pas, ne s’entreprend pas. Elle est. Et il me faudrait me contenter d’un faux jus de pamplemousse pour exprimer tout ça ? Parfois, je me dis qu’il est grand temps que je devienne enfin adulte. Le hic, c’est que pour l’être, je sais pertinemment ce qu’il me faudrait faire. Et je l’ai fait – sous forme de catharsis (trouillard) – il y a quelque temps sans que (presque) quiconque ne le sache. Et j’ai continué ; ce qui en dit long sur ma toute-puissance catatonique. J’ai à peine fantasmé. Le local à poubelles. Une vieille poêle déglinguée. Le tour était joué. Ironie du sort, ce texte fut quelques jours plus tard choisi par un magazine papier pour son édition hebdomadaire. Un simulacre de décès en première page. Il vaut mieux en rire. Je n’accuse personne. Seulement moi en fait. Comme tout le monde, je presse mon jus de citron, je fais valser mes quilles. Je suis plein de compromissions, et elles sont toutes conscientes.
Au lieu de me revendiquer une âme, je pratique sans cesse la mauvaise pâte à modeler du moi.
Photo : http://www.silicate-photos.com/article-5249846.html
26 commentaires:
Quelle belle photo :)
j'aime beaucoup et toc !
viendez y les trolls !
Le passage sur l'envie d'épure, je me reconnais tellement là-dedans !
Certains jours j'ai l'impression de tourner en rond et j'ai envie d'une révolution. Mais, j'ai beau tourner les phrases dans tous les sens, il y a toujours les mêmes tournures grammaticales qui reviennent, les adjectifs, le rythme... Sans parler des thèmes récurrents.
Et puis, sur le fait que dans un blog on balance toutes ces billes au point d'en perdre sa sève... Je voulais en faire un billet, tiens, pour ce blog.
Mais j'ai la trouille ;)
Je ne commente pas.
Avec Dorham il faut toujours tout relire trois fois avant de dire une connerie.
Courage Nef !
Pareil idem que Nef...
Dorham, c'est comme Joyce ou Malcolm Lowry : à la première lecture, on bite que dalle, alors même qu'on se rend bien compte qu'il y a des trucs, là-dedans. Du coup on lui en veut un peu, on bougonne et on descend fumer une cigarette avant la deuxième lecture.
Nef, Didier,
Petites natures !
J'acquiesce aussi au passage de l'épure. Mais je sais que j'échoue avant de commencer à écrire. Je repère assez aisément la laideur, l'imprécision et autres mauvais choix en tous genres, sans pour autant arriver à améliorer ma prose. Mes globes oculaires dilatés finissent toujours par me dire de publier. :))
Moui, enfin si on enlève tout, il ne restera au mieux qu'un mode d'emploi. Je ne suis pas certaine que ce soit ce que tu recherches ...
Je trouve que ce sont tes images et tes jeux de mots qui donnent justement de l'âme à ton texte.
Contrairement à Nef et à Didier, je commente. Ce texte est nul à chier. Même en lisant deux fois, je n'ai trouvé aucun jeu de mot scabreux à faire.
;-)
"J’aspire à écluser le restant de mes jours".
Bon. Je vais aller écluser un demi.
Pas d'âme, pas d'âme... Un déménagement s'impose, vers un îlot gorgé de citron et peuplé d'anchois, situé non loin du ça, c'est sûr...
Voui ben tu sais écrire et c'est un plaisir de te lire.
($ $ $)
Gaël,
merci.
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Zo,
l'épure, je crois qu'on ne la mérite peut-être pas encore. Dire beaucoup avec peu, c'est quand même "grand" quand on y pense...
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Nef,
Ah...
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Didier,
oh !
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Marie-Georges,
c'est à dire qu'on a un espace réduit pour une volonté de dire énormément (dans le meilleur des cas), alors on condense, on ramasse, on en fait des tonnes.
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Leïloona,
dans ce texte, on est d'accord. C'est le récit d'un échec patent. C'est aussi une facétie, ce texte, un magma pour faire démonstration.
Mais dire les choses simplement, sans emphase, sans en faire trop, à petits mots. Une phrase qui dit tout en 3, 4 mots, c'est un miracle, non ?
cela n'est pas permis sur un blog. Pas permis, sinon, on reste en rade avec ses esquisses. Quand on lit certains auteurs, on est admiratif devant leur économie de moyens. Ils ne font pas de compromissions. Ils sont finalement libres.
Je les admire, ceux-là.
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Nicolas,
T'as raison,
j'ai soif aussi de toute façon.
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Mtislav,
En fait, j'aime pas les anchois.
Mais choisi une île pour moi, elle sera bien assez grande, va. Peut-être largueras-tu sur ma cabane de palmes (sécables) quelques denrées rares...
je l'espère en tout cas.
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Simon Gaetan,
Non merci Madame...
Des mots qui traduiraient l'âme avec sa fulgurante simplicité.
Peut-être devriez-vous vous essayer au haiku.
C'est une idée.
Mais plus sérieusement Mortie, Carver, Mc Carthy, c'est l'épure la plus sublime...
J'apprécie McCarthy.
Le doute m'assaille :
M'interpelliez vous au préalable ou suis-je inclus dans cette liste ?
Du Dorham pur jus (de pamplemousse).
Mais enfin, j'ai tendance à penser que les blogs sont ce qu'on en fait (si on veut faire de l'épure, on fait), et ont les lecteurs suivant ce qu'ils sont.
Quant à la poële pas lavée, y a un début à tout : l'imaginer est un début.
Mortie,
non bien sûr...
Mais il y a de ça dans ton style. Un certain dépouillement bien agréable.
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Audine,
oui, bien sûr, on fait de l'épure si on le souhaite. Certains (Marc par exemple) le font, et assez bien même. Je ne fais que relater mon échec à moi (et quand même à beaucoup d'autres aussi...)
Si tu parles de Carver et Mac Carthy ok. Mais ta définition de l'épure m'a d'abord fait penser à du Christian Bobin où chaque mot semble pesé au gramme près. Cette écriture dentelée me plait parfois mais le plus souvent elle m'écœure comme un met trop sophistiqué. Alors que chez un Garcia Marquez, par exemple, je jubile devant les descriptions baroques, l'accumulation, l'exagération.
De ton écriture j'aime la truculence, l'emportement,le côté chien fou un peu bancal parfois mais qui semble toujours maitrisé et d'une grande maturité...
Ah bon, ça t'a fait pensé à ça ?
Bon. Moi, je pensais plutôt (vraiment) à Mc Carthy, je trouve cela saisissant. Et je pensais également à tous les grands penseurs.
Sinon, on ne désire jamais que ce qu'on a pas.
McCarthy, dans l'épure ? Fichtre ! on n'a pas dû lire le même, alors...
Didier,
Attention, l'épure ne signifie pas l'ascétisme. Mc Carthy a un style très marqué, des figures qu'il adapte, un travail évident sur la forme. Mais dans La Route, les phrases sont relativement nues, brutales, elles sont immédiates, presque sèches. C'est une forme d'épure. La récurrence des termes choisis, des formes, les répétitions, tout cela est bien plus efficace à mon avis qu'un style qui aurait choisi la forme hyper-destrictive (à la manière d'un Zola dans la Curée si vous voulez) où abondent images, champs lexicaux décalés...etc...
Mais peut-être ai-je une vision de l'épure qui diffère de la votre ?
Bon anniversaire !
Bal,
je te grille, ça marche pas, tu l'as lu avant tout le monde ce texte, j'ai déjà eu ton commentaire...
Merci, ça me touche...ça passe vite bon sang...
Texte et tons formidables! Cette façon dedans/dehors, j'y suis sans y être, de pudeur et de vantardise est très bien ficelée
La mauvaise pâte à modeler du moi autorise de beaux ouvrages!
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