Préambule

J'aime bien inspirer des auteurs, susciter des débats, lancer des idées, partager des sujets. Comme j'ai pris l'habitude de le faire régulièrement, mon blog, tout en étant le même, ne me ressemblait plus vraiment. Les invités s'accumulaient, on ne voyait plus le papier peint ; j'ai donc décidé de faire de la place et de les coller au plafond.

Pour commencer, la rubrique Blogs et... va se poursuivre ici.
(Les anciens messages et la plupart de leurs commentaires ont été transférés ici)

Bienvenus et merci à tous les participants

mercredi 24 septembre 2008

Blog et désespoir

[Contribution de Boby]

Mon amour,

Je tiens à te le dire tout de suite, en préalable à ce courrier que tu ne liras pas. Je ne suis pas désespéré. Je ne vois pas bien l’intérêt d’avoir un quelconque espoir. Nuance.

Je me suis demandé à une certaine époque si ce que j’éprouvais était du désespoir. Pour être plus précis, quand j’ai pris conscience que tu refuserais les traitements lourds, que le crabe allait pouvoir s’en donner à cœur joie, et donc que tes jours étaient dorénavant comptés. Non, ce n’était pas du désespoir, mais plutôt d’une certaine façon une sorte de soulagement, puisque nos jours étaient comptés. Nous allions pouvoir clôturer dignement ces quarante années de luttes qui finalement, bien que nous ne voulions pas le reconnaître nous avaient, l’un comme l’autre, complètement usés. Nous n’avions plus d’illusions, ce qui est bien pire que de n’avoir plus d’espoir…

C’est à ce moment là que j’ai ouvert mon premier blog. Simplement avec le désir puéril, sinon illusoire, de laisser une trace pour nos enfants. Comme si cette toile virtuelle pouvait être marquée d’une quelconque trace.

Avec un autre objectif aussi. Celui de me créer une activité suffisamment prégnante pour que mon esprit ne perçoive plus le vide qui m’envahissait quand ton corps fatigué se réfugiait de plus en plus souvent, de plus en plus longuement, dans un sommeil qui n’avait rien de réparateur. Etre totalement à toi, complètement consacré à toi quand tu étais éveillée. Etre hors du temps et de la réalité en voguant de blogs en blogs quand tu me laissais seul face à moi-même. C’est seulement ainsi que je pouvais t’attendre. Attendre que tu sois prête.

Etrange ressenti. Pendant des semaines, des mois, je niais ma solitude en papillonnant ainsi de personnages fictifs en entités virtuelles, et en me plongeant de plus en plus longuement dans l’écriture. Et je n’ai jamais été aussi seul qu’à ce moment là.

Et puis, je ne sais même pas comment et pourquoi, un petit groupe de lecteurs fidèles s’est mis à m’entourer. Une petite communauté qui perdure aujourd’hui. Une anomalie.

(Parce que les règles du jeu de la blogosphère sont claires. De l’instantanéité, du vécu, des tripes. Bravo si tu réussis à tirer quelques larmes du lecteur attendri. Il t’oubliera un peu moins vite. Mais il t’oubliera. Toi, blogueur, tu n’es qu’un fantasme. Un lecteur ne remonte à peu près jamais dans l’historique. Le passé, ce que tu es, ce que tu as vécu, ne n’intéresse pas. Seuls comptent les instants présents. S’ils sont suffisamment poignants, tu seras l’heureux bénéficiaire d’un commentaire chaleureux. Reçois-le comme un baume, un cadeau, un encouragement. Et surtout n’oublie pas de dire merci !)

Ma chérie, je suis un peu trop amer en écrivant ces lignes. Je dois une fière chandelle à cet étrange outil, qui somme toute est suffisamment récent pour que personne n’en connaisse vraiment les règles et les possibilités. C’est grâce à lui, à mes écrits livrés en pâture à la terre entière, aux réactions empathiques d’une minorité de lecteurs, que j’ai pu tenir le coup pour toi. Je réservais à la toile mes coups de sang, mes désespoirs, mes craintes, mes lassitudes. Ainsi je restais disponible et aimant pour toi. Toi seule avais besoin de moi.

Etrange chose quand même. Ce qui n’est que le babillage de fantasmes éthérés (même lorsqu’ils disent se bourrer la gueule !), m’a aidé à être, à vivre, à t’aimer davantage…

Et puis tu as accepté que la mort finisse son œuvre. Tu m’as laissé me démerder seul. En t’opposant avec tout ce qui te restait de force à notre départ ensemble. Et puis j’ai été suffisamment lâche pour laisser faire. Pour survivre. Oui, sans trop savoir pourquoi, comment, et jusqu’à quand, je survis encore. Contre toute logique.

Sans blog.

Après ton départ j’ai essayé de poursuivre l’exercice. Par reconnaissance pour ceux qui m’avaient supporté et porté avec tout leur cœur. Par besoin d’échange, de communication. Même fictive et virtuelle, une conversation était préférable au regard hideux de la solitude. Mais les règles du jeu étaient changées. Les cris de désespoir (employons donc ce mot, je n’en trouve pas d’autre) et de souffrance quand j’essayais de t’accompagner étaient recevables. Ils émouvaient. Les même cris face à ma solitude irrémédiable et à ma recherche encore vaine d’un sens quelconque à la vie n’étaient pas acceptables. Saugrenus. Mal venus. Indécents. Agressifs. Ils choquaient. Imperceptiblement, j’ai senti les liens se distendre.

La toile est un étrange animal. Virtuel, tellement éloigné de la vraie vie, et qui pourtant n’accepte que les panégyriques idéalisés de ce que d’aucuns appellent « l’existence »…

Foin de ceux qui doutent de l’intérêt de laisser leur cœur battre à son rythme…

Je n’ai pas le choix. Je dois continuer. Accomplir les objectifs prévus. Je le ferai.

Sans blog.

Enfin… Ainsi l’ai-je voulu. Ainsi ai-je essayé. Je sais maintenant que ça ne durera pas.

Je l’ai souvent dit. Sur tous les tons. Je suis un animal social. Incapable de survivre dans la solitude. Et là, la solitude… En me coupant de ces lecteurs inconnus mais dont le cœur palpite quelque part, ici ou là, sur le globe terrestre… J’ai bâti des murs effroyables, hauts et épais, tout autour de moi. Je suis cerné. J’étouffe.

Vois-tu mon amour, je pense parfois que tu as tout fait pour me couper de tous ceux qui comptaient tant soit peu pour moi. Tu nous aurais voulu seuls, avec les enfants sur une île déserte. Tu n’es plus. Les enfants sont loin, et bâtissent leur vie. Je reste seul sur notre île déserte. Je t’ai promis de continuer. Il faudra bien que je trouve une solution.

La toile est immonde. Fluctuante. Versatile. Parfois violente. Parfois belle. Parfois hideuse. Parfois d’une générosité troublante. Parfois égoïste comme pas possible. Mais elle est.

Si, de temps en temps, je parviens à sentir un cœur au bout d’un mince et fragile fil de la trame de ce filet gigantesque, je sais bien comment je le nommerai : le Fil de la Vie…

Mon amour, je t’aime… C’est quand même drôle de dire à du vide, à une inexistence, à un souvenir, à un fantasme, à un bout de soi-même, qu’on l’aime…

Finalement, le virtuel existait avant la toile.

Tu vois, au bout du compte, après t’avoir parlé, le magma internet me fait moins peur…

mercredi 17 septembre 2008

blogobistro

[Par Nicolas]

Que serait un blog sans bistro ? Que serait un bistro sans blog ?
Rien d'autre probablement et réciproquement qu'un blog ou un bistro… Pourquoi alors poser la question ? Parce qu'il faut des sujets pour alimenter les blogs et les conversations de bistro.
D'ailleurs de quoi parle-t-on le plus dans les blogs ? Des blogs… De quoi parle-t-on le plus dans les bistros ? Des bistros et de la cuite de la veille.
Pour le reste, les sujets sont les mêmes : le foot, la politique et le cul. Je me demande d'ailleurs si d'autres sujets sont possibles.
L'autre jour, dans le bistro, j'ai entamé une conversation avec trois blogueurs pochetrons à propos de l'évolution de la pensée poéticoappéritive dans la carrière littéraire de Julien Dray, la seule réponse que j'ai eue est, je cite de mémoire : « Heu, tu as vu la dame qui vient de passer dans la rue, elle avait de ces nichons ! ».
Sur un blog secret d'envergure internationale j'ai posé la même question appuyée d'une réflexion comparée sur l'évolution comparée de la pensée poéticoappéritive chez tous les quinquagénaires socialistes. J'ai eu un seul commentaire : « François Hollande a du poil dans les oreilles ».
Là ne s'arrête pas la comparaison entre les bistros. « Tiens ! Tu as vu Jojo, hier soir ! Le 15ème Ricard, hier soir, était de trop, c'était largement le plus saoul ». « Tiens ! Tu as vu Sarkofrance, ce mois-ci, il est en tête des blogueurs gauchistes du classement Wikio ».
Pareil pour l'audience. Qu'est-ce qui intéresse le blogueur ? Que son billet soit le plus lu. Par exemple, mon billet du jour fait la une du journal de Cozop parce que je parle de l'audience des blogs. Pareil pour les copains de bistro. Tout ce qui les intéresse c'est de savoir combien le gros Loïc a fait de bistros la veille.
C'est ainsi que dans un moment d'extrême lucidité, probablement après voir lu un billet de Giscard, j'ai décidé de fusionner mon blog et le bistro pour remplacer mon homonyme concurrent qui a déposé le bilan, provisoirement, j'espère. Je vais d'ailleurs établir les règles d'usage de mon blog. On appelle ça la « néthique » (pour « net étique »). En fait, on devrait appeler ça la « béthique » (pour bistro éthique ou blog éthique) car la béthique n'est jamais absente des bistros et des blogs.
La première règle est que les toilettes sont réservées aux consommateurs et aux commentateurs. Avant de pisser, il faut commenter. Point. Une règle est une règle. Tiens ! A propos de règle, il faut que je rajoute une poubelle dans mon blog sinon les gonzesses périodiques vont me boucher les toilettes.
Pendant que j'y pense… Il faut que j'installe des pissotières dans mon blog. J'en ai marre de tous ces trolls qui ne savent pas viser.
La deuxième règle est simple. Dans mon blogstro, il est formellement interdit d'insulter les consommatrices se mêlant à cor et à cri des conversations éparses.
La troisième règle est particulièrement sérieuse. Il est également interdit de réclamer la tournée du patron au sein d'un commentaire. La tournée du patron ne sera chaleureusement offerte qu'aux commentateurs sympathiques qui prendront soin à ne pas oublier la coutume : « on ne part pas sur la tournée du patron ».
La quatrième règle est rappelée pour le strict respect de la loi. Elle sera d'ailleurs affichée derrière la caisse comme il est d'usage par ce traditionnel écriteau : « Nous vous informons d'un changement de direction. Monsieur Marc Moissa est remplacé par Monsieur Jean Caisse ». Autrement dit, le blog ne fait plus crédit et n'accorde d'ailleurs aucun crédit aux contradicteurs.
Allez ! ON FERME ! A demain pour la nouvelle polécuite.

mercredi 10 septembre 2008

Blog et nombrilisme

[Contribution de Clarinesse]


Le nombril est la chose du monde la mieux partagée.
Parler du sien, c'est parler du voisin, c'est parler du prochain, c'est parler de chacun.
Rien de plus universel que l'intimité.

Le thème n'est pas neuf.
« Homo sum ; Nihil humani a me alienum est. »
dixit Terence, il y a presque deux mille ans.
« Je suis homme. Rien de ce qui est humain ne m'est étranger. »

Et puis Hugo, aussi, dans Les Contemplations,
« Est-ce donc la vie d'un homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi.
Nul de nous n'a l'honneur d'avoir une vie qui soit à lui.
Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une.
Prenez donc ce miroir, et regardez-vous y.
On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on.
Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ?
Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! »

Et Baudelaire qui rétorque Au lecteur hypothétiquement offusqué de tant d'égotisme :
« L'Ennui […] Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
Hypocrite lecteur, —mon semblable, —mon frère! »

Le blog en est la preuve éblouissante ; cette improbable conjonction d'un espace intime et public à la fois, personnel et ouvert, secret et impudique aussi.
Il suffit de voir le nombre de commentaires articulant d'infinies variations autour du thème du « Moi aussi, tout pareil. »

Quel ressort plus fécond à la lecture que la fameuse identification ?
Qu'est-ce qu'un vécu personnel sinon une palette de couleurs appelées à résonner sur la toile pour former l'immense tableau impressionniste des âmes d'une époque ?
Où mieux saisir l'air impalpable du temps que dans ces voix du moi qui font chœur de leurs cœurs ?
Et puis, l'être intime n'est-il pas la matière première de tout art ?
L'artiste se contente d'aller puiser au fond de sa caverne d'Ali Baba les trésors à offrir au grand jour des lecteurs. Il se retire en lui, écoutant son tumulte intérieur loin du fracas social,
Isolé des autres ; réuni au tout.
La création est solitaire. Seule et vers l'Autre ; mais sans lui.
Concentration. Non point concertation.
On reproche ainsi souvent à l'artiste en général, au blogueur en particulier, son nombrilisme.
Le narcissisme est détestable quand il rend aveugle au monde.
Mais écouter sa propre voix, cela peut éviter de chanter faux.
Cela ne rend pas sourd aux autres. Au contraire parfois.
Etre sourd à soi-même, c'est souvent être sourd aux autres.
Rien ne ressemble à un cœur comme un autre cœur.
Rien n'en diffère autant. Nier le sien, c'est nier l'autre.
Se retirer en son for intérieur n'est pas toujours acte de refus.
C'est aussi le mouvement généreux de l'intérieur vers l'extérieur.
Il suffit que la nuit se cache derrière la fenêtre pour en faire une glace ;
il suffit d'orienter la psyché un peu plus oblique pour en faire un rétroviseur.
Fenêtre ouverte ou bien miroir : les deux parfois ne font qu'un seul.
Et puis on ne peut pas reprocher aux blogs tout et son contraire.
D'un côté patauger dans le nombrilisme le plus égocentré qui soit,
et de l'autre brasser sans complexes les pires lieux communs.
Certes pourtant, les deux se rejoignent,
tant rien n'est plus banal que les errances existentielles de Tartempion.

Quand Pascal s'offusquait du « sot projet que Montaigne a eu de se peindre », se récriant contre ce « moi haïssable », il n'envisageait pas que presque cinq siècles plus tard, les Essais seraient encore lus comme une expression de l'âme humaine la plus universelle.

Quand on reproche à un blogueur son narcissisme,
on se trompe de terme, on se trompe de cible.
On ne lui reproche pas de parler de son histoire intime.
On lui reproche de ne pas l'avoir transmuée en propos universalisable.
La nudité du sujet n'est pas gênante. Pourvu qu'on l'habille assez de style.

Et nous en venons au fond : à savoir le travail de la forme.
Qu'importe le sujet, pourvu qu'on ait le texte.
Rappelons qu'un texte, étymologiquement, est un tissu, un textile, un réseau organisé,
donc le contraire d'un fatras, débarras sans logique ni forme.
Et c'est là qu'est l'os.

Rien n'est plus banal que l'étalage de soi sans soin.
Rien de moins original que l'individu engoncé dans son quotidien.
Pas de lieu plus commun qu'une chambre d'ado et ses petits secrets.

La force neuve d'un écrit ne vient pas de son sujet :
que l'on parle de son nombril, de ses orteils, des bébés phoques,
de Marcel Proust, de l'art de passer la serpillière
ou du dernier ministre délégué aux affaires crapuleuses, qu'importe.
Pourvu qu'on prenne soin de ne pas s'embourber
dans les ornières des chemins trop fréquentés.
Non point encore qu'il faille les éviter.
On ne découvre pas tous les jours d'inédits continents vierges.
Rien n'est si nouveau sous le soleil qui mériterait de faire couler chaque jour tant d'encre.
Seulement, veiller à ne pas poser ses pieds dans l'exacte trace du déjà foulé,
du déjà dit et piétiné.
Cet unique lieu commun, nous le partageons tous : c'est, sur cette brave Terre qui a bon dos, l'humaine condition avec laquelle nous nous débattons, splendeurs et misères mêlées.
Encore faut-il bien s'y tenir. Bien droit. Bien net.
Sans trop de taches sur ses mots. Sans trop de phrases effilochées et trop usées.
Qu'est-ce d'ailleurs qu'un lieu commun sinon un espace de pensée partagé par tous ?
Sinon l'universel prêt à porter pour le premier venu ?
Il n'y a pas de lieu commun. Il n'y a que des manières communes.
Le nombril peut être le plus banal des enlisements sous un œil de myope, ou la plus originale des redécouvertes sous l'acuité d'un regard neuf.
Un formidable maelström porteur d'infinies circonvolutions sous le scalpel d'un visionnaire.

Rappelons Ponge et son Parti pris des choses.
Un nombril n'est pas moins intéressant qu'une huître ou une valise.
Je ne vois pas ce qu'il y a de honteux à fréquenter son nombril.
Chacun écoute ce que lui dit son petit doigt où il le peut.
L'altérité n'est point parfaite entre le « misérable petit tas de secrets » auquel se réduit le journal intime d'un individu selon Sartre, et le tissu de lieux communs auquel on peut tout aussi facilement le réduire.

Nous laisserons pourtant parler l'avocat du diable, Roland Barthes, que ses objections à la pratique du journal intime n'ont pas empêché de publier le sien :

« Pourquoi est-ce que je suspecte l'écriture du journal ?
Je crois que c'est parce que cette écriture est frappée à mes yeux, comme d'un mal insidieux, de caractères négatifs, déceptifs que je vais essayer de dire.
Le journal ne répond à aucune mission. Il ne faut pas rire de ce mot. Les œuvres de la littérature, de Dante à Mallarmé, à Proust, à Sartre, ont toujours eu, pour ceux qui les ont écrites, une sorte de fin sociale, théologique, mythique, esthétique, morale ; le livre, architectural et prémédité, est censé reproduire un ordre du monde ; il implique toujours, semble-t-il, une philosophie moniste. Le journal ne peut atteindre au Livre, à l'œuvre. Il n'est qu'album, pour reprendre la distinction mallarméenne.. L'album est collection de feuillets non seulement permutables, mais surtout suppressibles à l'infini. Relisant mon journal, je puis barrer une note l'une après l'autre, jusqu'à l'anéantissement complet de l'album. […] Mais le journal ne peut-il être précisément considéré comme cette forme qui exprime essentiellement l'inessentiel du monde, le monde comme inessentiel ? Pour cela, il faudrait que le sujet du journal fût le monde, et non pas moi. Sinon, ce qui est énoncé, c'est une sorte d'égotisme qui fait écran entre le monde et l'écriture ; j'ai beau faire, je deviens consistant face au monde qui ne l'est pas. Comment tenir un journal sans égotisme ? Voilà justement la question qui me retient d'en écrire un.

Inessentiel, le journal n'est pas non plus nécessaire. Je ne puis investir dans un journal comme je le ferais dans une œuvre unique et monumentale qui me serait dictée par un désir fou. L'écriture du journal, régulière, journalière comme une fonction physiologique, implique sans doute un plaisir, un confort, non une passion. C'est une petite manie d'écriture dont la nécessité se perd dans le trajet qui va de la note produite à la note relue. […]

Toute émotion étant copie de la même émotion qu'on a lue quelque part, rapporter une humeur dans le langage codé du relevé d'Humeurs, c'est copier une copie ; même si le texte était original, il serait déjà copie ; à plus forte raison s'il est usé. […]

Comment faire de ce qui est écrit à chaud (et s'en glorifie) un bon mets froid ?
C'est cette déperdition qui fait le malaise du journal.»

Mais non point celui du blogueur, qui ne peut être réduit au statut de diariste,
tant il y a de blogs qui échappent à la catégorie de journal intime.
Dire qu'on n'aime pas les blogs, c'est comme dire qu'on n'aime pas les livres.
C'est une catégorie vide.
Dans les livres, il y a Baudelaire et Marc Lévy.
Dans les blogs, il y a les cahiers boutonneux où l'on étale sa trombine à côté des photos des copines pour prouver qu'on a plein d'amis, et de véritables œuvres :
nouvelles, poèmes, pamphlets …

Il ne tient qu'au blogueur, plus encore qu'au diariste de jadis, de faire de son Journal de bord, de son web-log une œuvre, et non un plat compte rendu de l'écume des jours.

Sculpture : Aryon, avec son aimable autorisation.

NB : ce billet étant paru ici pour la première fois, vous y trouverez les commentaires.

mercredi 3 septembre 2008

Au commencement était le blog

[Contribution de Marie-Georges Profonde]


Michel-Ange, La création d'Eve, 1512
Toute ressemblance avec des extraits de mails reçus et envoyés par l’auteure est purement due à sa parfaite maîtrise de l’ordinateur en matière de copiage-collage.

« Ah ah ah, un blog, moi ! Meuh nan hein. Franchement est-ce que j’ai une tête de blogueuse ?! Et puis d’abord c’est quoi un blog ? C’est pas ce truc que tout le monde écrit et que personne ne lit ? Ri-di-cule ! »

Ainsi parlait Marie-Georges à l’ami qui semblait vouloir la pousser à la création d’un blog bien à elle. L’ami lui envoya, en guise d’exemple, l’adresse d’un blog où, selon lui, il faisait bon lire. Il s’expliqua :

« Il y a quelques semaines en parcourant le Web j'ai trouvé ce blog et je me suis dis que tu aimerais le ton et le sujet. Delphine m'a dit hier qu'en plus tu parlais de faire un blog (pour rire ou sérieusement je ne sais pas). En attendant voici le lien”

« Faire un blog », c’était effectivement une boutade sympa entre copines pour ponctuer des propos dépourvus d’intérêt : « Et si j’en faisais un blog ? Ouarf ! »

Comme je ne suis pas très organisée de nature, je répondis à quelqu’un d’autre (qui ne m’avait rien demandé et ne m’avait pas écrit non plus) :

C'est nul les blogs, je trouve ça chiant, toutes ces vies médiocres exposées telles de sublimes oeuvres au regard de tous. Les bloggers donnent leur avis sur tout sans se documenter sur rien et en plus on leur a rien demandé. Pouah !”

Ensuite, je cliquai sur le lien envoyé par l’ami susdit et atterris sur un blog drôle et frais, écrit par une pétillante blogueuse VIP (comme on dit après quand on commence à s’y connaître), dont les textes distrayants, à la fois légers, originaux et instructifs, me passèrent allègrement au-dessus du crâne. Une inexplicable langueur m’étreignit. Mon cerveau gauche téléphona à son voisin de droite : « C’est sympa la déco ici. Bon on s’en va ? »…

Quelques jours plus tard, au gré de mes activités de geek dans les utilitaires sociaux, je découvris, mi-moqueuse mi-jalouse, qu’un ex à moi possédait un blog. C’est donc le sourire en coin – tout droit piqué à la méchante Elisa fomentant un énième sale coup à la gentille Candy - que je parcourus l’œuvre du goujat de naguère : « Hin hin hin ! Quel naze, décidément !», me répétai-je au fil de cette lecture. C’était tellement nul que je revenais m’y gausser chaque jour. C’était peut-être pas si nul. En réalité, je me laissai piéger sans en avoir conscience par le pouvoir insoupçonné du blog en matière de « revenez-y ».

Alors, par le truchement des liens, commença une étrange route des vins bloguesque au milieu de laquelle je titubais chaque jour. Je découvrais le fil à couper l’eau chaude : « Les blogs, c’est comme les humains, certains se ressemblent mais y’en a pas deux pareils », déclamai-je d’un air profond. Et puis un jour, l’addiction. Mon œil papillonnant se posa comme à sa jeune habitude en un point précis de la toile blogosphérique. Il se retrouva aussitôt prisonnier d’un texte, tissé magistralement par un personnage arachnéen que nous nommerons Z. afin d’en préserver l’anonymat. J’étais désormais rivée à un ébouriffant récit à épisodes et hoquetais nerveusement de la souris chaque jour, la sueur au front, en implorant le dieu du net : « Ô grand Tout de la toile sacrée, faites que Z. ait posté aujourd’hui ! ». Il m’entendait. Elle postait. Je me délectais. Ce fut elle qui apposa, devant mes prunelles bées et ma bouche baba, leurs lettres de noblesse à ces objets naviguant guère identifiés qu’étaient pour moi les blogs.

Du temps passa encore. Je trouvais ça drôlement chouette, les blogs. Je me décidai à tenter l’aventure bloguesque, un dimanche comme les autres où je cherchais une excuse pour ne pas faire ma lessive. Ce ne fut pas sans interrogations. « Mmmmh ? Mon blog ? C’est à quel sujet ? », demanda mon surmoi d’un air circonspect. « Comment assumeras-tu d’embêter les autres avec la vacuité de ton existence ? », poursuivit-il. C’est en bloguant qu’on trouve la réponse à cette culpabilité (sans fondement, par définition). En deux mois de blog, j’ai observé ma prose s’enfuir de ma tête pour se coller aux pages du site et s’offrir à la vue de tous. « C’est un journal extime », conclus-je en me relisant. Le produit fini m’intéressant moins que le processus, je décidai de n’avoir ni thèmes, ni rubriques. Parce que quand même, ce qui est bon dans son propre blog à soi rien qu’à soi, c’est la liberté de mettre les pieds sur la table de son petit deux-pièces virtuel et de se balancer frénétiquement sur sa chaise fictive sans risquer la fracture de l’occiput. Et d’être visitée quand même. Je gravai dans l’airain ces commandements à l’unique adresse de mon moi-blogueuse :

- une cohérence jamais tu ne chercheras ;

- si tel est ton bon plaisir, du futile à l’intime, de la politique à la diététique allègrement tu passeras ;
- tes jeux de mots hasardeux sans vergogne au vu de tous tu exposeras ;

- l’angoisse de la page blanche en te déconnectant tu soigneras ;

- à un rythme régulier jamais tu ne t’astreindras ;

- la médiocrité de tes textes tu relativiseras ;

- les compliments tu croiras.

« Comme quoi, le début d’un blog, ça aurait presque la gueule d’une expérience initiatique », finit par se dire Marie-Georges Profonde, en flagrant délit d’autostop sur la voie du Bouddha inspiré. Mon blog ne me ferait-il pas - un tant soit trop - perdre la boule athée ?

Et vous, par quel chemin curieux, improbable, de traverse, départemental ou autoroutier en êtes-vous venus à créer votre blog à part ?

L'eau à la bouche

Juste avant les vacances j'ai prié quelques blogueurs de rédiger des billets au sujet du blog sur un thème imposé.
En dehors du titre et d'une définition assez vague, je les ai laissé totalement libres de composer ce qui leur plaisait.

Je suis ravie du résultat.

Le programme des prochaines semaines est le suivant :

- Au commencement était le blog, par Marie-Georges Profonde, parution à 11 heures ce matin même.

- Blog et nombrilisme, par Clarinesse, parution à 11 heures le 10 septembre.

- Blogobistro, par Nicolas, parution le 17 septembre.

-Blog et désespoir, par Boby, parution le 24 septembre.

- Bloguer au travail 1/2 , par Gaël, parution le 1er octobre.

- Bloguer au travail 2/2, par Gaël, parution le 8 octobre.

C'est tout pour le moment...