Préambule

J'aime bien inspirer des auteurs, susciter des débats, lancer des idées, partager des sujets. Comme j'ai pris l'habitude de le faire régulièrement, mon blog, tout en étant le même, ne me ressemblait plus vraiment. Les invités s'accumulaient, on ne voyait plus le papier peint ; j'ai donc décidé de faire de la place et de les coller au plafond.

Pour commencer, la rubrique Blogs et... va se poursuivre ici.
(Les anciens messages et la plupart de leurs commentaires ont été transférés ici)

Bienvenus et merci à tous les participants

mercredi 28 janvier 2009

Bloguer à la campagne

[Contribution de Patrick Fort]

Je n’habite pas sur une autre planète.

Je n’aime pas les villes tout simplement.

Tout y est trop grand, trop froid, trop anonyme.

Je m’y sens à l’étroit, j’y étouffe et j’ai besoin d’air pour vivre.


Ici, je suis plus dans mon élément.

J’ai passé ma journée à arpenter la forêt, à deviner ses mille bruissements mystérieux, à délimiter encore et encore les frontières fragiles de mon espace vital.

J’ai nourri mon paysage mental de ces couleurs multiples que la clarté modifie à longueur de journée et qui permet à toutes ces images intériorisées de ne pas s’abandonner dans la monotonie monochrome.

J’ai épuisé mon corps à grand renfort d’errances improbables, me perdant délibérément dans des détours pour ne pas retrouver mon chemin. J’ai malmené et violenté ce corps pour ce qu’il se sente enfin vivre.

Puis j’ai fini par rentrer.

A travers les carreaux de la fenêtre, j’ai fixé la montagne pour retracer les contours de cette escapade, prenant soin de ne rien noter pour ne rien défigurer.

Les bûches dans la cheminée rougeoyaient et le bois mort crépitait.

A regret, j’ai alors allumé mon ordinateur pour me reconnecter avec le vaste monde du dehors. Comme vous.

D’un simple clic de souris, j’ai rejoint ce carnaval virtuel mais pourtant bien vivant, qui se répète à l’infini, d’un blog à un autre.

Je ne me sens pas à mon aise dans la blogosphère mais j’y reviens toujours.

Je ne supporte pas ses codes de bienséance omniprésents.

Cette hypocrisie latente. Souvent.

Cette foire aux bons mots. Parfois.

Mais je m’accommode de ce jeu de rôles : j’y participe et j’en ris.

Malgré moi. Souvent. Parfois. La plupart du temps. Toujours ?


« N’oublie pas que tu m’as promis une chronique » m’écrivait Zoridae, « pour toi, j’ai pensé à Bloguer à la campagne ».

Le temps a passé et comme je n’aime pas me presser, j’ai traîné.

Et puis, pour tout vous avouer, j’ai en horreur le mot « blog », ses sonorités hideuses qui écorchent le mot « campagne » et rendent ces deux substantifs antynomiques.

La modernité éphémère de l’un qui se dilue dans le confort de la masse ; le passéisme enraciné de l’autre qui s’évertue à perdurer.

J’ai musardé de nombreuses journées avant de me décider enfin à écrire ce billet promis.

Mais toujours cette interrogation courtisant l’obsessionnel :

Existe-t-il une différence si manifeste entre un citadin accro au bitume et à la foule et un campagnard avide de nature et de solitude ?

En quoi ma qualité de « blogueur des champs » se différencierait-t-elle de celle d’un « blogueur des villes » ? Dois-je énumérer tous ces évènements insignifiants voire banals - pour vous peut-être – et qui rythment et enrichissent la quintessence de mes journées ? Tout en prenant soin de ne pas omettre la touche bucolique de circonstance pour « faire vrai » ; tout en prenant soin de peindre les massifs montagneux enneigés et écrasés de beauté ; tout en prenant soin d’évoquer le silence magique des arbres ; tout en prenant soin de dessiner les courbes sensuelles du lit des rivières…

Le risque du cliché n’est jamais loin mais la sincérité perce toujours derrière les mots maladroits, quitte à ce qu’on les oublie un jour. Peut-être.

J’ai fini par comprendre cette évidence là : « bloguer à la campagne » ou « bloguer à la ville » ne sont dans le fonds guère dissemblables.

Ecouter le monde « ici » ou « là-bas » ne vous met jamais à l’abri de sa douleur, de sa discordance et de son fracas.

Mais « Ici », j’ai le temps.

Mais « Ici », j’ai appris à l’apprivoiser.

Mais « Ici », j’ai surtout le paysage en plus.

mercredi 21 janvier 2009

Frequently Asked Question

[Contribution Roger Accroid]

Je dois vous parler d'une maison de retraite, la mienne. Tout remonte à ce jour où des intervenants passèrent animer un atelier consacré aux nouvelles technologies. Auquel je participai. Pétri d'inquiétude. On nous montra comment faire glisser la souris, où était le pointeur. Juste au-dessus de mes lunettes la plupart du temps. Comment il fallait entrer. Se quitter. C'est ainsi que cela commença.

Les animations durèrent quelques semaines. Avec d'autres résidents mordus, on monta un dossier pour installer une "salle multimédia". On était deux. La dotation comportait un ordinateur. Mon jeune camarade (77 ans) à la souris, moi au clavier. Opéré du canal carpien, j'avais peu de souplesse : je tapais avec les pouces...

Je voulus avoir le mien. Cela déclencha une vague d'hostilité.

"Et comment je fais pour le ménage, moi !"

"C'est n'est pas vous qui allez vous en servir quand même !"

Voilà qu'on me brandissait le règlement intérieur. On me menaçait du médecin et du cimetière. Ce n'était pas bon pour moi. Il fallait commencer à être raisonnable. Je tenais bon. Ma liaison avec la machine fut d'abord plutôt platonique. Nous ne manifestions que peu d'exigence l'un envers l'autre. Puis, la vie commune s'installa émaillée de crises violentes. "Le système a quitté inopinément". Les invectives fusaient parfois "Error 32418". L'angoisse des débuts refaisait surface. "Virus alert !" Le bonheur avait pris le dessus entre l'ordinateur et moi : on pouvait véritablement dire que notre unité était centrale.

J’avais atteint un niveau de compétence qui permit à Rosetta, mon arrière-petite nièce , de me conseiller. Grâce à elle, j’eus enfin mon espace personnel, un blog disait-elle. Mot valise, je finis par l’apprendre qui me convenait puisqu’il prenait le dernier wagon du web et le premier du log ; un billot donc sur lequel j’allais déposer ma tête. Certes, ce n’étaient pas le bois mort qui me manquait pour oeuvrer. Je voulais publier une photo de Rosetta, premier défi. Toute la famille y passa. Je voulus aller plus loin, publier une vidéo. Ce fut Le Noël des Toujours Verts - du nom de l’institution qui nous héberge puis La Cérémonie des Voeux aux Toujours Verts. Je fis un tabac chez mon alter ego avec un billet en forme de petit guide intitulé “L’indispensable pour les vieilles branches accro”. Puis ce fut “Total respect pour l’e-senior” qui donna une véritable audience au blog. Chaque difficulté m’obligeait à retourner à la faq pour trouver la fameuse question dont vous cherchez désespérément la réponse. Fâcheuse métaphysique.

Question fréquemment posée aussi par mon entourage : Roger, peux-tu te passer de ton ordinateur cinq minutes ? Comment me passer de ce petit frisson en forme de bouteille à la mer ?

Le blog faisait un tabac, c’était la fièvre. Il fallait publier, un bruit de rotative m'occupait le cerveau. “Comment fumer en cachette en maison de retraite ?” suscita la colère. “La mort à découvert” qui proposait quelques conseils sur l’inhumation suscita une pluie de commentaires. “Dernière note”, un billet qui expliquait comment rédiger ses dispositions testamentaires divisa profondément ma communauté. “Roulez des pelles avec un dentier” provoqua un schisme. Ce fut réellement un gâchis puisque je me contentais de dénoncer certains stéréotypes véhiculés par la publicité.

Puis j’eus envie de rédiger mon dernier billet, c’est un peu théâtral, un peu adolescent mais j’avais envie de renaître.

Rosetta connaissait Zoridae. Par son intermédiaire, j'ai demandé s'il était envisageable de publier cette lettre. Entre temps, pardonnez l'aspect macabre de la situation mais mes obsèques ont été célébrées. J'ai été plus ou moins forcé d'y participer. Pendant quelques temps, je n'ai guère goûté aux joies de la micro-informatique.

C'est un macchabée qui caresse le clavier. Ici, les règles sont drastiques : pas de blogs. Pourtant, soyez sûrs que tout le monde se délecte de vos commentaires.

Votre dévoué,

Roger Accroid