
Il existe une Loi dans le petit milieu des blogueurs. Cette loi est tacite, mais infrangible, inviolable, à moins d'y laisser sa peau.
Cette loi tient en une phrase: un blogueur ne critique pas un autre blogueur.
C'est la vérité. On croit souvent que les blogueurs sont des individus irascibles qui passent leur temps à râler contre tout et, hélas, à l'écrire sur leur blog. Mais ce qu'on oublie c'est que les blogueurs ne se critiquent jamais entre eux. C'est la loi du milieu.
Vous me direz, c'est pareil dans toutes les communautés, toutes les corporations.
Un footballeur ne critique jamais un confrère, car il sait qu'un jour où l'autre il peut être transféré dans le même club que lui. Et, alors, il lui faudra rendre des comptes. Ou bien il affrontera lors d'un match le joueur qu'il a critiqué, et dans ce cas, bonjour les représailles au niveau des protèges-tibias.
Même chose chez les écrivains: ils se méprisent entre eux, mais pas un n'aurait l'idée stupide de l'avouer dans le Magazine littéraire. Dans les salles des profs, c'est pareil: tout le monde s'aime...
La seule différence, c'est que les blogueurs sont plus nombreux.
Et cette différence est énorme.
C'est ce qui transforme la blogosphère en immense jeu de big brother. Critiquer quelqu'un, c'est s'exposer à être critiqué par d'autres, puisque tout le monde peut nous voir.
La loi du milieu, "un blogueur ne critique pas un autre blogueur", s'explique par la structure même des blogs.
Je repèrerai deux phénomènes (il y en a d'autres).
Il y a d'abord ce qu'on pourrait appeler l'effet technorati. Connu dans le domaine de la publicité sous l'appellation "bad publicity is publicity". Critiquer quelqu'un, c'est lui faire de la pub. Dans le cas des blogs, pour critiquer, il faut citer. Cette citation est comptabilisée par les moteurs de recherche, et notamment par technorati, le moteur de recherche des blogs. Une critique égale un vote. Voilà pourquoi les blogueurs y réfléchissent à deux fois avant de rentrer dans le lard d'un confrère.
Il s'ensuit que la pire critique, pour un blogueur, est d'ignorer. Ignorer superbement le moucheron qui vous tourne autour et cherche à vous faire réagir en vous critiquant. Ignorer aussi les flatteurs...
Le deuxième phénomène qui explique que les blogueurs critiquent rarement leurs semblables est ce qu'on peut appeler la force virale des trolls.
Critiquer quelqu'un, c'est mettre le doigt dans un engrenage. Une critique appelle une réponse, voire deux, trois, dix réponses. On croyait envoyer un message à un importun, on s'aperçoit qu'on a tapé dans une fourmilière. On a réveillé un réseau, alerté un essaim de trolls, déclenché une "blog war".
Je me souviens, récemment, d'un blogueur qui avait eu l'idée, stupide et suicidaire, d'attaquer frontalement un blogueur politique influent. Le présomptueux était allé jusqu'à poursuivre son adversaire sur son propre blog.
Sachant que ce dernier charrie derrière lui une tripotée de trolls plus véhéments les uns que les autres, l'issue du combat était prévisible. L'assaillant fut submergé, noyé sous un flot de commentaires tels qu'il dut hisser le drapeau blanc. Il rentra sur son blog la tête basse et décida de ne plus parler de politique nationale. Trop dangereux!
Personnellement, il m'arrive de regretter l'existence de cette loi du milieu propre aux blogs. Mais, va, c'est la vie! Chacun a la mafia qu'il mérite...